Dans un cours d’expression pictural, j’ai imaginé un projet qui consiste à recadrer une œuvre en deux temps. Cet exercice est en quelque sorte une application de la technique du recadrage d’abord par le questionnement d’une œuvre produite antérieurement, ensuite par la recherche d’un mode de présentation non traditionnel. Ce projet peut très bien être étendu à différents autres modes d’expression (sculpture, installation, vidéo d’art, etc.). Toutefois, pour de meilleurs résultats, j’ai constaté avec les trois années d’expérimentation du projet qu’il est important de ne pas imposer de contraintes de mode d’expression à propos de l’œuvre de départ ou par rapport au résultat. Ainsi, il est possible de choisir comme œuvre de départ, une peinture, une sculpture, une vidéo, etc., dont l’aboutissement pourra devenir une peinture, une installation, un dessin, une photographie, etc. La seule contrainte est d’avoir dans le processus la présence de l’œuvre de départ et une forme de dialogue entre le produit de départ et le résultat final.
Dans ce projet, les réflexions de création (deux parties de projet) se feront simultanément; il s’agira donc de réinventer l’œuvre déjà existante en imaginant le mode d’exposition de cette dernière non conventionnel, contemporain actuel. Le but étant d’actualiser la création, de la placer dans un contexte inhabituel d’exposition. Il s’agit enfin de réfléchir à un moyen de magnifier l’œuvre par l’intervention créative et sa présentation.
Voici la présentation du projet en deux phases, tel qu’il a été formulé pour mes cohortes 2017, 2018 et 2019.
Partie 1: Ressusciter une création / actualiser une œuvre
(Ré)inventer une œuvre picturale personnelle, qu’est-ce que ça veut dire?
Il y a des œuvres que l’on crée, qui parfois restent inachevées, incomplètes, non abouties. Parce qu’on a manqué de temps, d’intérêt ou encore que l’on n’a tout simplement pas encore trouvé la solution pour que la création soit autonome, fonctionnelle, assumée ou originale.
Il y a des œuvres qui sont si importantes dans notre démarche artistique qu’elles demeurent des modèles-pièges sur lesquelles on garde toujours les yeux rivés, sur lesquelles on revient toujours pour reproduire des formes de pastiches. Ces œuvres sont comme des cages d’où il est difficile de sortir.
Il y a aussi des ébauches d’œuvres, qui sont des départs d’exploration, dans lesquelles on s’est investi et qu’on a le sentiment qu’il s’agit de trouvailles importantes : prémices d’une grande aventure créative, mais qui ne sont jamais abouties faute de temps, faute de budget…
Trop souvent, les délais, le manque d’intérêt ou de stimulation nous empêchent d’essayer ou de poursuivre ce travail de création, de pousser plus loin l’exploration.
Ce projet, c’est en quelque sorte une seconde chance à saisir… afin de réfléchir une œuvre une autre fois.
- Ressusciter une création non aboutie, poursuivre une recherche qui nous tient à cœur, ou même simplement choisir une seconde fois une œuvre qu’on aime particulièrement.
- Réinventer une œuvre personnelle, ça veut d’abord dire : développer une réflexion de création qui mène à une intervention et une altération de l’œuvre pour la dénaturer, la recadrer.
Interventions de recadrage suggérées
- Filmer l’œuvre, la projeter en vidéo, sur un appareil informatique (écran, téléviseur), en stop motion.
- Altérer l’œuvre : découper l’œuvre, découper une partie de l’œuvre, altérer le support, la fragmenter, la froisser, la brûler, la coudre ou la recoudre.
- Multiplier l’œuvre : la recopier, photocopier, imprimer… la réfléchir dans un miroir.
- Photographier ou numériser l’œuvre ou des parties d’œuvre : faire des modifications numériquement.
- Agrandir ou réduire l’échelle de l’œuvre : prendre un détail et l’agrandir ou le rapetisser.
- Reproduire l’œuvre : avec de la peinture, des médiums à coller, des objets sur un support différent (dans une fenêtre, sur un chandail, comme maquillage ou tatouage non permanent).
(!) Interventions refusées
Une œuvre dessinée ou peinte ne peut être simplement altérée en y ajoutant du médium, de la peinture, du dessin ou du collage. L’œuvre doit devenir autre chose en utilisant les diverses techniques de recadrage.
Partie 2: Magnifier l’intention créative et l’œuvre par la présentation non conventionnelle
(Re)présenter une œuvre picturale (ré)inventée, qu’est-ce que ça veut dire?
Une réflexion de présentation non conventionnelle de l’œuvre réinventée afin de la magnifier. C’est une démarche qui permet à l’œuvre de s’épanouir dans une mise en scène qui provoque un autre niveau de lecture que la présentation traditionnelle ne permet pas. Il s’agit de produire une métaphore visuelle différente par la réflexion sur la présentation de l’œuvre, d’y insérer un message à un niveau de lecture différent et non traditionnel. À l’aide de stratégies de présentation, éclairage, suspension, inversion, réflexion, projection, etc.
Cette présentation devrait créer un dialogue avec les corps des membres du public afin de le déstabiliser, de le surprendre, de l’émouvoir…
Présentations suggérées
- Performance
- Projection
- Installation
- Exploitation des éléments architecturaux (plafond, fenêtre, plancher, portes, mobiliers, table…)
- Suspension, tension, flottaison, fragmentation.
- Prêt-à-porter (confectionner un vêtement, peinture corporelle, bijoux…)
(!) Interventions refusées
Une œuvre accrochée au mur ou adossée à celui-ci et éclairée par le plafond. Qu’elle soit présentée à l’endroit ou à l’envers, n’est pas une réflexion de présentation suffisante pour le projet.
Étapes de réalisation
- Choix d’une ou deux œuvres à faire approuver par l’enseignant ou l’enseignante (semaines 1-2)
- Archiver; photographier la production choisie (semaines 1-2)
- Préméditer et imaginer les modes d’interventions afin d’actualiser l’œuvre : recherche de références visuelles et échantillonnage de test divers. (photo, Photoshop, photocopies, etc.) (semaines 2-4)
- Rédaction du texte d’intention et remise au début du second cours
- Réaliser la production (semaines 5-6-7)
- Planifier le mode de présentation, réservation d’espace, de locaux pour l’exposition de l’œuvre. Construire les systèmes requis pour l’accrochage/ projection. Test d’éclairage, de projection… (semaine 6)
- Dernier test et montage et la présentation de l’œuvre (semaines 6-7)
- Fin du montage et présentation finale de l’œuvre en contexte (semaine 7)
Voici une liste de l’ensemble des éléments définis par le groupe qui permet de baliser clairement les limites du projet. Cet exercice peut être fait avec les étudiants afin de les sensibiliser aux définitions que supporte l’exercice de création.
Médiums proscrits
- Sang, excréments, sperme, urine ou autres sécrétions corporelles.
- Photo traditionnelle ou projection vidéo traditionnelle
- Argent sous forme de billet de banque (photocopies ou numérisations)
- Nourriture réelle, ordure, matières organiques (ne pourront pas être exposée à long terme si elles dégagent des odeurs)
Supports traditionnels
- Toile, panneau de particules, contre-plaqué, feuille de métal rectangulaire ou carré
- Photo traditionnelle ou projection vidéo traditionnelle
Supports non traditionnels
- Support découpé de manière non conventionnelle
- Art urbain (avec sous-support)
- Vêtements
- Corps (peinture corporelle)
- Projection
- Écran d’ordinateur
- Net art
- Panneau verre ou miroir (non conventionnel rectangulaire)
- Objets (poubelle, capot de voiture, porte, fenêtre, mobilier, fauteuil)
- Dans un livre ou sur un livre
- Tapis, rideaux, draps…
Supports proscrits
- Scarification sur le corps, blessures corporelles ou chirurgie
- Intervenir directement sur un mur de l’établissement d’enseignement ou de la ville sans autorisation
- Art urbain ou graffiti directement sur un mur de l’établissement d’enseignement ou de la ville sans autorisation
Myriam St-Pierre, Mémoire vivante, 2018
Projection vidéo sur tente de toile brute tendue sur châssis et bande audio, cours Expression picturale, Cégep de Rivière-du-Loup.
Photo : Nadine Boulianne
Joanna Gourdin, Sans titre, (Lettre à ma mère), 2018
Encre sur papier de riz, ampoules et éclairage bleuté, cours Expression picturale, Cégep de Rivière-du-Loup.
Photo : Nadine Boulianne
Mélodie Parent, Tempête sur mer, 2019
Acrylique sur papier aquarelle, 55,8 x 76,2 cm (chaque), cours Expression picturale, Cégep de Rivière-du-Loup.
Photo : Nadine Boulianne
L’œuvre est suspendue à une série de fils transparents et des ventilateurs font tanguer l’installation comme le mouvement des vagues sur la mer.