Le fantôme de l’image s’explique tout d’abord par le décalage temporel entre le sujet réel et la trace de celui-ci laissée par une empreinte visuelle. C’est le témoignage du passage éphémère, qu’un objet, une personne ou un élément de la nature aura laissé sur une surface ou un support multimédia. Le meilleur exemple de ce phénomène est parfois observable l’automne sur les trottoirs. Lorsque les feuilles tombent des arbres et laissent une empreinte de couleur de leur présence sur le béton après la pluie. La feuille aura été soufflée par le vent, mais le fantôme de son image subsistera. On observera aussi ce phénomène lorsqu’on retire les encadrements d’un vieux mur et que ceux-ci auront laissé une empreinte plus claire sur la surface peinte, à l’endroit qu’ils recouvraient. Puisque la couleur du mur autour de leur présence se sera dégradée. C’est encore le même phénomène, lorsque l’on démonte une tente, la couleur de l’herbe sera altérée parce qu’elle aura souffert d’un manque d’exposition au soleil. Enfin, il est parfois amusant de constater dans certains lieux publics, si un banc est placé près d’un mur, qu’une forme d’ombre aura enregistré comme des auréoles, tous les passages humains sur cette surface.
Un peu d’histoire…
Les premiers humains à avoir expérimenté cette technique artistique sont les hommes de la préhistoire. Afin de laisser une trace de leur passage sur les parois des grottes, ils plaçaient leurs mains sur la surface rocheuse et propulsaient des pigments (matière colorante) en crachant ceux-ci ou en utilisant des tubes d’os creux ou des tubes de roseau. L’image de la main était ainsi imprimée en négatif sur la surface. Il s’agit des premières manifestations de l’utilisation des pochoirs qui évoluera dans l’histoire de l’art.
Riopelle et les oiseaux
Jean Paul Riopelle est considéré comme un de nos plus grands peintres québécois. Il fut l’élève de Borduas et a brièvement fait partie du regroupement des Automatistes. Il sera l’un des signataires du Refus global rédigé par Paul-Émile Borduas et publié en 1948. Toutefois, il s’exilera à Paris au début des années 1950 ou il connaîtra un succès international par ses œuvres.
Vers la fin de sa carrière, souffrant d’ostéoporose, Riopelle développe un intérêt marqué pour le travail à la bombe aérosol comme technique novatrice de création picturale. Cette approche plus accessible lui offre une plus grande liberté d’expression compte tenu de ses limitations occasionnées par sa condition physique. Considéré comme un précurseur de cette technique, il expérimente déjà dans les années 1950 l’utilisation d’une pipette pour projeter la peinture, puis dans les années 1960, il explore l’utilisation d’un pulvérisateur tue-mouches de marque Fly-Tox actionné manuellement. Dans les années 1970, Riopelle découvre la bombe aérosol et l’incorpore dans son travail, développant de nouveaux motifs, techniques et vocabulaires, notamment des jeux d’alternance entre le positif et le négatif qui lui sont caractéristiques.
Lorsque Riopelle s’approprie complètement la technique de la bombe en aérosol les empreintes d’objets de toute sorte ainsi que ses propres mains deviennent une caractéristique forte de cette période artistique. Les formes utilisées comme pochoirs sur la toile laissent des traces reconnaissables comme celles des oies sauvages, des hiboux, des lapins (que les chasseurs lui apportent. L’une de ses dernières grandes réalisations, qui s’intitule L’Isle heureuse, 1992, présente ce type d’empreinte en négatif des objets qui ont été savamment disposés physiquement sur la toile avant d’être pulvérisés à la bombe aérosol.
Sources consultées
(X) GAGNON, François-Marc. Jean Paul Riopelle, sa vie et son œuvre, Institut de l’art canadien. [https://www.aci-iac.ca/fr/livres-dart/jean-paul-riopelle/style-et-technique/#la-bombe-aerosol]
(X) LECLERC, Stéphane, Dépeindre Riopelle, Épisode 1 : L’Île aux oies set de la puissance des éléments, Radio-Canada, OH, 2022.
Maurice Richard se laissant asperger la main à la bombe aérosol
(photo de Pierre McGann, fondation Riopelle)
© Succession Jean Paul Riopelle / CARCC Ottawa 2024
L’Isle heureuse, 1992
© Succession Jean Paul Riopelle / CARCC Ottawa 2024