Lors de la réalisation d’une œuvre d’art, il arrive souvent des accidents imprévisibles. Un morceau de moulage qui casse, un café ou un pot de peinture renversé sur le tableau en cours, une déchirure sur la toile à peindre, l’œuvre finale qui se brise dans le transport, etc. Ces malheurs qui sont le fruit d’un hasard malchanceux ont cependant le potentiel de rendre parfois l’œuvre plus signifiante puisque l’accident provoque la créativité ou l’inventivité afin de trouver de nouvelles solutions au problème survenu dans l’inattendu. Comme dans la vie, si l’on se blesse un bras ou une jambe, on apprend vite à utiliser l’autre… On réinvente son quotidien et l’on trouve parfois des solutions créatives et surprenantes pour s’accommoder. Il en va de même de la création artistique.
L’artiste ne jette rien, car il connaît le potentiel créatif de tout objet qui l’entoure. Comme un écureuil, il entasse dans son atelier toute sorte d’objets susceptibles de servir un jour, que ce soit comme outils, comme matériaux, comme inspiration ou par attachement émotif ou esthétique. La créativité est partout! Lorsque l’on a passé plusieurs heures, jours, ou mois à travailler sur une œuvre et qu’un accident survient, jeter ne s’avère même pas une solution envisageable! Il faut alors faire preuve d’une grande ouverture d’esprit afin d’accepter la tragédie et éventuellement se tourner vers la créativité. L’ouverture et la curiosité sont donc les meilleures attitudes à adopter face à cette réalité de l’accident.
D’autres fois aussi, l’on cherche délibérément à provoquer l’accident afin de faire naître une association inusitée ou une métaphore visuelle. Plusieurs artistes utiliseront ce concept comme moteur de création en brisant ou en détruisant de manière volontaire des œuvres ou des parties d’œuvres.
Découvrons ensemble la démarche de plusieurs artistes de l’histoire de l’art qui ont accepté les conséquences du hasard malheureux et inventé des solutions créatives afin d’intégrer à leurs œuvres la notion de l’accident. Dans plusieurs cas, l’accident fait progresser l’œuvre vers l’inattendu et fait en sorte de rendre celle-ci plus expressive et signifiante que l’idée de départ. C’est donc une activité créatrice à essayer à tout prix!
Sources consultées
(X) DARASSE, H. L’accident pictural : À la lumière des concepts de François Jullien, dans François L’Yvonnet éd., Art et concepts : Chantier philosophique de François Jullien/Ateliers d’artistes, Paris, Presses universitaires de France, 2020. pp. 67-101. [https://doi.org/10.3917/puf.lyvo.2020.01.0067]
Anecdote sur l’erreur ou les trouvailles accidentelles
Thomas Edison est connu comme un inventeur, un scientifique et un industriel américain renommé. En tant que fondateur de la General Electric, une des premières puissances industrielles mondiales, il était particulièrement prolifique avec plus de 1 000 brevets déposés à son nom. En plus d’être un pionnier de l’électricité et un diffuseur et vulgarisateur talentueux, il a également contribué au développement du cinéma, travaillant aux côtés d’autres inventeurs tels que William Kennedy Laurie Dickson, Émile Reynaud, Louis Lumière et Jules Carpentier. Il a aussi été impliqué dans les avancées technologiques dans l’enregistrement du son. Thomas Edison avait réalisé que réussir impliquait de faire les bonnes connexions. Bien que la plupart de ses inventions n’aient pas fonctionné, il a breveté la plupart de ses erreurs en affirmant : « Je fais plus d’erreurs que quiconque que je connaisse ». Parmi ses nombreuses inventions brevetées, on trouve des maisons en ciment, des machines de comptage de votes automatiques, des photogrammes et des batteries automobiles électriques.
Sources consultées
(X) NIELSEN, D. et Thurber, S. Les secrets de la pensée créative, 2017, Pologne, Pyramyd, p. 164
(X)« Thomas Edison », [En ligne], Wikipédia, [http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Thomas_Edison&oldid=182678022] (Consulté le 7 mai 2021).
(X) DE JAEGHER, Thibaut. « Thomas Edison, l’homme qui inventa l’innovation », dans L’Usine nouvelle, [En ligne], 11 février 2014. [https://www.usinenouvelle.com/editorial/thomas-edison-l-homme-qui-inventa-l-innovation.N1863272].
(X) SADOUL, Georges. Histoire du cinéma mondial, des origines à nos jours, Paris, Flammarion, 1968, 719 p., p. 11.
(X) BRISELANCE, Marie-France, et Jean-Claude Morin. Grammaire du cinéma, Paris, Nouveau Monde, 2010, 588 p. (ISBN 978-2-84736-458-3), p. 11 à 17.
(X) MANNONI, Laurent. La Machine cinéma : de Méliès à la 3D, Paris, Lienart & La Cinémathèque française, 2016, 307 p. (ISBN 978-2-35906-176-5), p. 38.
Un peu d’histoire…
Un célèbre récit antique de Pline l’ancien raconte comment le peintre Protogène, n’arrivant pas à représenter la bave d’un chien avec des méthodes de peinture traditionnelles, jeta au hasard une éponge sur son ouvrage ce qui produisit l’effet pictural recherché de manière accidentelle.
Sources consultées
(X) DARASSE, H. L’accident pictural : À la lumière des concepts de François Jullien, dans François L’Yvonnet éd., Art et concepts : Chantier philosophique de François Jullien/Ateliers d’artistes, Paris, Presses universitaires de France, 2020. pp. 67-101. [https://doi.org/10.3917/puf.lyvo.2020.01.0067]
Auguste Rodin et l’accident créatif
Auguste Rodin (1840-1917) a apporté une innovation à la sculpture en intégrant les concepts d’aléatoire et d’accident. Il a introduit dans sa pratique artistique des éléments résultants du hasard, en les acceptant tel qu’ils sont créés par le hasard, sans intervention personnelle. De cette manière, l’accident est devenu un processus créatif pour l’artiste.
En se basant sur l’exemple de La Muse tragique, une œuvre présente dans les collections du Musée d’art et d’histoire de Genève depuis 1896, une réflexion a émergé autour des concepts d’accident et d’aléatoire. En incluant l’accident dans la matière même de l’art, en particulier dans la sculpture, on va à l’encontre de la tradition académique qui cherche à éliminer tout élément qui témoigne des imprévus du processus de fabrication et de création. Cette tradition favorise plutôt la préservation de la trace lisse et compréhensible de l’idée et de l’intention de l’artiste.
Un autre exemple est la sculpture intitulée « l’Homme au nez cassé » dont l’épreuve de moule réalisée en plâtre se brise lors d’un jour de froid extrême dans l’atelier. Rodin décide alors de préserver la version accidentée en la faisant couler en bronze puisqu’elle s’apparente maintenant davantage à un masque et que l’accident la rend plus expressive.
Sources consultées
(X) VILLE DE GENÈVE. (février 2014). L’accident et l’aléatoire comme éléments d’une démarche créatrice. Repéré au http://institutions.ville-geneve.ch/fileadmin/user_upload/mah/documents/Expositions/2014/Rodin_Dossier-de-presseDEF.pdf.
Explore les œuvres suivantes d’Auguste Rodin afin de découvrir comment l’accident a pu provoquer une intensité expressive sur les corps des personnages.
D’autres artistes ont aussi exploité l’accident dans leurs créations de manière qu’il soit le fruit du hasard ou volontairement provoqué.
Marcel Duchamp, la consécration d’une œuvre brisée par le transport
Marcel Duchamp (1887-1968) était un artiste français connu pour son approche conceptuelle et provocatrice de l’art. Il a été l’un des principaux membres du mouvement dada, qui rejetait les conventions artistiques et culturelles de son époque. M. Duchamp a profondément influencé l’art contemporain et a contribué à ouvrir de nouveaux horizons pour les artistes qui ont suivi, notamment dans les mouvements de l’art conceptuel et de l’art contemporain en général.
Son travail le plus connu est peut-être « Fontaine », une œuvre créée en 1917 qui consistait en un urinoir en porcelaine blanc, signé « R. Mutt ». En proposant cet objet banal comme une œuvre d’art, M. Duchamp a remis en question les définitions traditionnelles de l’art et de l’artiste. Cette œuvre est considérée comme un tournant décisif dans l’histoire de l’art, car elle a élargi la définition de ce qui peut être considéré comme une œuvre d’art.
« La Mariée mise à nu par ses célibataires, même » (1915-1923), également connue sous le nom de « Le Grand Verre », est une œuvre complexe et énigmatique qui mélange la peinture, le dessin et la photographie pour créer une image à plusieurs niveaux de l’amour et de la sexualité.
En 1926, les deux panneaux qui composent « Le Grand Verre » sont présentés au Musée de Brooklyn avant d’être emballés dans une caisse en bois pour être expédiés à Katherine Dreier, la propriétaire de l’œuvre. La caisse n’est pas ouverte avant 1936, révélant que les panneaux de verre ont été brisés pendant le transport. M. Duchamp choisit de conserver les fragments brisés et passe trois mois à les réassembler en les enfermant dans des plaques de verre plus épaisses. Aujourd’hui, « Le Grand Verre », est exposé au Philadelphia Museum of Art.
Sources consultées
(X) BOURDIE, Alain Bourdie. Découvrir et comprendre l’art contemporain, 2011, Hurtubise, p.63.
(X) « Le Grand Verre », [En ligne], dans Wikipédia, [http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Le_Grand_Verre&oldid=196979420] (Consultée le 15 septembre 2022, 15 h 9).
(X) La Mariée mise à nu par ses célibataires, même, Paris, Éditions Rose Sélavy, 1934, 300 exemplaires.
Explore le travail suivant de Marcel Duchamp afin de découvrir comment l’accident a pu provoquer une intensité expressive nouvelle dans l’œuvre.
Les nouveaux réalistes et l’accident provoqué
En octobre 1960, Les Nouveaux réalistes ont été fondés par une déclaration commune signée par des artistes tels que Yves Klein, Arman, François Dufrêne, Raymond Hains, Martial Raysse, Pierre Restany, Daniel Spoerri, Jean Tinguely et Jacques de la Villeglé. César et Mimmo Rotella qui ont se sont ensuite joints au groupe, suivis de Niki de Saint Phalle et Gérard Deschamps en 1961. Ils se sont réunis sur la base de la prise de conscience de leur « singularité collective » qui consiste en une méthode d’appropriation directe du réel, une sorte de « recyclage poétique du réel urbain, industriel, publicitaire ». Le travail collectif des artistes s’est étendu de 1960 à 1963 et a inclus des expositions élaborées ensemble, mais l’histoire du mouvement s’est poursuivie au moins jusqu’en 1970.
Pierre Restany, le critique d’art, a joué un rôle essentiel dans la justification théorique du groupe, qui s’est intéressé à une réalité nouvelle issue de la société urbaine de consommation. Le terme nouveau réalisme a été forgé par M. Restany lors d’une première exposition collective en mai 1960 et se réfère au mouvement artistique et littéraire né au 19e siècle qui voulait décrire la réalité banale et quotidienne.
Les artistes de ce regroupement utilisent des objets courants pour créer leurs œuvres, suivant l’exemple des « ready-mades » (prêts à l’emploi) de Marcel Duchamp (1887-1968). Ces artistes adoptent une vision très critique de la société à laquelle ils appartiennent, en ridiculisant la consommation de masse ou en caricaturant l’image de l’homme contemporain.
César Baldaccini découvre, en 1960 à Gennevilliers, en banlieue parisienne, une presse hydraulique capable de compacter des voitures. Cette découverte le pousse à expérimenter cette technique et mène à la création des Compressions. Au début, il se contente de compacter des voitures en parallélépipèdes, ce qui est une pratique très objective, car il conserve l’objet qu’il veut compresser dans son intégralité. C’est à ce moment qu’il se joint aux nouveaux réalistes. Par la suite, il expérimente avec différents objets métalliques compressés par accumulation.
Explore le travail suivant de César Baldaccini afin de découvrir comment l’accident volontaire de la compression des voitures donne des formes plastiques intéressantes.
Se joignant au groupe des nouveaux réalistes en 1961, Niki de St-Phalle est connue pour ses performances publiques au cours desquelles elle explore la notion de « tirs ». Elle tire à la carabine sur des objets et des moulages, créant ainsi des « destructions créatrices », dans lesquelles elle dissimule des contenants et sacs de peinture qui explosent sous les projectiles de la carabine qu’elle utilise, couvrant l’œuvre de dégoulinades colorées.
Sources consultées
(X) MORISSET, Vanessa. Le nouveau réalisme, 2011, Centre Pompidou, Direction de l’action éducative et des publics, [http://mediation.centrepompidou.fr/education/ressources/ENS-nouvrea/ENS-nouvrea.htm].
(X) « Nouveau réalisme », [En ligne], Wikipédia, [http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Nouveau_r%C3%A9alisme&oldid=130823576] (Consulté le 21 octobre 2016, le 0 h 2,).
(X) RESTANY, Pierre. L’Alchimiste de l’art, biographie, Henry Périer, Éd. Cercle d’Art, 1998 (ISBN 2702205496).
(X) RESTANY, Pierre. Avec le nouveau réalisme, sur l’autre face de l’art, Nîmes, Éditions Jacqueline Chambrons, 2000, p. 109.
(X) GRENIER, Catherine Grenier. Nouveaux réalismes et Pop art, l’art sans l’art, dans « Les années Pop », Paris, Centre Pompidou, 2001.
Explore le travail suivant de Niki de Saint Phalle afin de découvrir comment l’accident a pu provoquer une intensité expressive nouvelle dans l’œuvre.