Excellent moyen de déjouer le syndrome de la page blanche, la tache est une technique qui génère des accidents créatifs. À partir de gestes spontanés produisant des taches, des éclaboussures, des coulures, des explosions de peinture et des traces de pinceau, il est possible de créer des formes qui provoqueront l’imaginaire créatif. L’utilisation de la tache pour générer des inspirations crée un aspect visuel organique, dynamique et accidentel au concept.
Sans être une finalité, la tache est un point de départ à la recherche d’idéation qui génère des associations visuelles imprévues. L’accident provoqué par l’expérimentation tachiste peut être ensuite exploité dans la réalisation d’une œuvre à l’aide de techniques artistiques pratiques ou virtuelles.
La tache peut devenir conceptuelle lorsqu’elle est appliquée à d’autres modes d’expression. Certains artistes travailleront ce processus de manière dérivée, par divers moyens d’expérimentation et modes d’expressions. Voyons ensemble toutes les possibilités d’un tel exercice.
Un peu d’histoire…
L’histoire de l’art foisonne d’exemples où les artistes ont cherché à provoquer l’inspiration par différentes expérimentations tachistes. L’intervention improvisée et aléatoire ouvre une fenêtre sur l’imaginaire qui devient un tremplin à la créativité.
Le paysage imaginé par la tache
Peintre originaire de Russie, Alexander Cozens a vécu de 1717 à 1786. Au cours de sa carrière de peintre et de professeur, il a produit une série de publications sur l’art. Le dernier livre de cet ensemble s’intitule « Nouvelle méthode pour faciliter l’invention de compositions originales de paysage ». À partir de ces premiers ouvrages, en 1785, une brochure sera publiée afin d’expliquer une technique de dessin de paysages à partir de taches : la Nouvelle Méthode pour secourir l’invention dans le dessin des compositions originales de paysage. Selon Cozens, la tache était le résultat d’une forme de hasard présentant des qualités esthétiques. Cette réflexion s’inspirait des idées exposées dans le Traité sur la peinture écrit par Léonard de Vinci qui avait conseillé aux peintres de s’inspirer des taches ou des marques d’usure sur les murs anciens. Dans cet ouvrage, il recommandait aux artistes de scruter les murs de pierres variées ou de toutes autres surfaces présentant des taches de différente nature afin d’y découvrir des visages étranges ou même des scènes de bataille.
Plusieurs paysages ont été exécutés à partir de la technique de la tache par Alexander Cozens. En faisant une recherche sur Internet, il est possible de trouver des témoignages visuels des étapes de réalisations et les résultats de ces travaux produits à partir d’accidents picturaux provoqués.
Références consultées
(X) « Alexander Cozens », [En ligne], Wikipédia, [http ://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Alexander_Cozens&oldid=154669689] (Consulté le 2018, décembre 10).
(X) Alexander Cozens. A New Method of Assisting the Invention in Drawing Original Compositions of Landscape, 1785.
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Les surréalistes et la tache expérimentale
Le surréalisme est un courant artistique qui s’épanouit à Paris au début des années 1920. Les artistes de ce mouvement utiliseront souvent une approche plastique qui est basée sur le hasard afin d’accéder au monde de l’inconscient. Des artistes comme Oscar Dominguez, Wolfgang Paalen et Max Ernst expérimenteront des modes d’expressions dits automatiques (non contrôlés par la raison ou par le geste créateur prémédité) comme la décalcomanie, le fumage et la projection de peinture. Ces différentes techniques sont utilisées pour amorcer l’inspiration sans que celle-ci soit contrainte par le jugement ou le raisonnement. Par la suite, l’artiste s’approprie le résultat en complétant les compositions aléatoires vers une imagerie personnelle figurative ou abstraite.
Exemple de la technique de la décalcomanie
Photo : Édith Croft
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Le fumage est une technique mise au point par Wolfgang Paalen vers 1937. L’artiste expérimente alors de placer une feuille ou une toile au-dessus d’une bougie ou d’une lampe à pétrole afin d’enregistrer les traces de fumée produites sur le support. Tel que vu précédemment dans le document d’introduction : 2. Provoquer l’imaginaire : 2.3 Le dessin automatique. Toutefois, Wolfang Paalen pousse ici plus loin les expérimentations qui consistent à passer sur une couche de peinture fraîche la flamme d’une bougie. Ainsi, le fumage et la flamme contribuent à modifier la peinture en créant des taches aléatoires qui provoquent une composition picturale inattendue.
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Sources consultées
(X) PEREIRA, L. Astonishing Examples of Automatic Drawing, on Widewalls, Artwork(s) In Focus, Top Lists, Art History, 2016. [https://www.widewalls.ch/magazine/automatic-drawing]
(X) « Wolfgang Paalen », [En ligne], Wikipédia, [http ://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Wolfgang_Paalen&oldid=199062571], (Consulté le 28 novembre 2022).
La projection de peinture
Max Ernst utilisa cette technique en 1941 en remplissant de peinture une boîte et en perçant un trou dans le fond de celle-ci, avant de la laisser couler en un mouvement de va-et-vient au-dessus de la toile.
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Janet Sobel (1894-1968) est très peu connue (comme beaucoup de femmes artistes de l’histoire de l’art) puisqu’elle était mère de quatre enfants et femme au foyer vivant à Brooklyn. Pourtant, elle aurait été l’une des premières artistes à utiliser la technique de peinture égouttée dans ses œuvres. En 1946, elle a exposé à la galerie de Peggy Guggenheim, où Greenberg et Pollock auraient vu son travail. Ses tableaux exposés comportaient des éclaboussures de peinture projetée et égouttée avant que Pollock, en 1947, ne s’approprie et mette au point sa fameuse technique du « dripping » qui l’a rendu mondialement connu. En effet, dans son essai « American-Type Painting », Clément Greenberg mentionne que Pollock aurait admis avoir été impressionné par le travail de Janet Sobel.
Explore les œuvres suivantes de l’artiste pour découvrir d’autres applications de cette technique
Sources consultées
(X) « Janet Sobel », [En ligne], Wikipédia, [http://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Janet_Sobel&oldid=181769216] (Consulté le 10 avril 2021).
(X) GREENBERG, Clement. Art and Culture: Critical Essays, Beacon Press, 1971, 278 p.
(X) « Dripping », [En ligne], Wikipédia, [http ://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Dripping&oldid=179570315] (Consulté le 4 février 2021).
(X) ZAWISZA, Marie. L’art est un bastion sexiste, Le Monde, 28 septembre 2013.
(X) SMITH, Roberta. Art in Review: Janet Sobel, The New York Times, 15 février 2002.
Performance et tachisme
La notion de performance artistique commence à se définir dans les peintures de l’« action painting » associées à Jackson Pollock puisque l’œuvre y est réalisée dans une forme d’improvisation gestuelle où l’artiste projette son psychisme sur la toile. La différence subsiste dans le fait que l’œuvre n’est pas encore représentée devant le public. En Europe, certains peintres vont redéfinir les frontières de la peinture par l’introduction de la notion de théâtralité en réalisant les œuvres lors de performances devant le public. Ainsi, le peintre français Georges Mathieu (1921-2012) s’est fait connaître par ses improvisations picturales au cours desquelles il réalise en un temps chronométré devant un public, des peintures gestuelles sur de gigantesques toiles. En 1956, au Théâtre Sarah-Bernhard à Paris, il s’exécute dans un événement pictural intitulé « Hommage aux poètes du monde entier », devant 2 000 membres du public. L’œuvre mesurant 4 x 12 mètres sera malheureusement détruite par la suite dans un incendie.
Yves Klein, de son côté, réalisera en 1960 des œuvres qu’il nommera « Anthropométries ». Ces tableaux sont réalisés lors de performances devant public où des femmes nues s’enduisaient le corps de peinture bleue avant de s’étendre sur la surface d’une immense toile blanche disposée au sol. De nombreuses « Anthropométries » ont été filmées comme de véritables événements. Klein s’amuse alors à dire qu’au lieu de peindre d’après modèle, il peint avec modèle!
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Sources consultées
(X) FARTHING, S. Tout sur l’art; mouvements et chefs d’œuvres, Montréal, Hurtubise, 2010.