La bissociation est une technique de créativité qui se définit par l’association de deux concepts (idée, fonctionnalité, objet, image) afin d’obtenir de nouveaux concepts innovants. Concrètement, cette technique de créativité repose sur le principe de fusionner deux éléments disparates afin de générer un troisième élément signifiant. La bissociation est donc une manière de combiner deux univers étrangers et d’en faire une synthèse inattendue. Elle se distingue toutefois de la technique de l’association qui se limite à produire des liens (par la classification, la phonétique, les contraires…) afin de générer une production d’idées. La bissociation est néanmoins similaire à la métaphore visuelle qui est aussi la résultante de concepts associés dans le but de créer une nouvelle idée. Cependant, la métaphore visuelle est une forme de figure de style qui utilise des symboles ou des représentations imagées pour transmettre de manière visuellement évocatrice et expressive une idée plus complexe. Il n’est pas exclu toutefois que le processus de bissociation aboutisse à une métaphore. La bissociation est une technique de recherche afin d’amener les idées à un second niveau : plus original, plus innovant, plus personnel ou créatif.
Sources consultées
NIELSEN, D. et Thurber, S. Les secrets de la pensée créative, 2017, Pologne, Pyramyd.
DEBOIS, François, Arnaud Groff et Emmanuel Chenevier. La boîte à outils de la créativité, 3e éd., France, Dunod, 2019.
Il est très fréquent que des œuvres d’art naissent de ce processus de lien inhabituel. Plus une personne est imaginative, plus son aptitude à faire des connexions est grande. La capacité de faire des liens ne se limite toutefois pas uniquement aux artistes. Il semble que la pratique régulière d’activités créatives peut favoriser le développement de cette compétence, et ce, pour des personnes de toutes les professions. La bissociation peut se faire occasionnellement de manière instinctive, mais la plupart du temps on doit appliquer une technique plus systématique afin de provoquer le concept innovant. Il arrive parfois en atelier qu’un accident mène à une association inhabituelle pour créer un nouveau sens à l’œuvre initiale (par exemple, casser une partie de moulage comme une main, un doigt, la tête d’une sculpture). Bien entendu, l’on peut recoller le morceau et l’on n’en parle plus. Ou bien, l’accident nous force à trouver une solution créative. Ainsi, l’on cherchera dans les environs n’importe quel objet qui puisse remplacer le membre cassé par accident. En essayant toutes les possibilités, on pourra décider de remplacer la tête du personnage par un ventilateur et donner un sens tout à fait inattendu à l’œuvre de départ.
Il est néanmoins possible de provoquer les liens par des exercices de créativité. Pour ce faire, il faut réaliser un certain nombre d’étapes. Effectivement, les artistes sont souvent sollicités dans les symposiums, expositions, événements artistiques et art public, pour créer avec des contraintes de thèmes et/ou de matériaux assez disparates. Par exemple, à l’occasion des célébrations du 400e de la ville de Québec, l’organisme Folie/Culture a mandaté dix artistes de la région afin de réaliser des œuvres commémoratives de l’événement sur un couvercle de bouche d’égout. Ce genre de contrainte est tout à fait désignée pour appliquer la technique de la bissociation. Afin d’illustrer le processus, j’ai choisi Martin Bureau, peintre et vidéaste de Québec qui a participé à cet événement. Comme mentionné plus haut, son œuvre s’est retrouvée censurée, mais il est intéressant de voir comment son concept illustre bien l’aboutissement du processus de la technique de la bissociation.
Phase 1 :
La première étape consiste à identifier deux éléments à associer. Ces composantes sont le point de départ sur lequel l’exercice de remue-méninges reposera afin de concevoir de nouvelles idées. Les concepts, éléments, thèmes et composantes de départ ne doivent pas avoir de lien entre eux (p. ex. étoile/voiture, poisson/ciel, piano/piscine…).
Exemple :
- Martin Bureau doit faire l’exercice à partir de ces deux éléments imposés qui sont le thème et le support de l’œuvre.
- La commémoration du 400e de la ville de Québec/couvercle de trou d’homme (plaque servant à fermer une canalisation d’égout située sous la chaussée).
Phase 2 :
À cette étape, afin de générer les liens, l’on doit établir des listes pour identifier les caractéristiques indispensables des sujets de départ. Cette activité permet de faire ressortir les éléments susceptibles de générer de l’intérêt par rapport au futur concept. Il est important de préserver des témoignages écrits de ce processus afin de pouvoir y référer en tout temps. Les caractéristiques qui peuvent être comparées sont par exemple, la forme, la couleur, le matériau, la symbolique, le fonctionnement, la fabrication, l’utilisation, etc. Il faut en faire suffisamment afin que certaines idées puissent être générées par cet exercice.
Exemple :
- Définition : Un couvercle de trou d’homme est une plaque servant à fermer une canalisation d’égout située sous la chaussée.
- Définition : La fête du 400e est un événement qui célèbre la fondation de la ville de Québec.
- Fonction : Sert à fermer de manière étanche une canalisation de la chaussée publique.
- Fonction : Commémoration de la date du 3 juillet 1608 qui correspond à la date où Samuel de Champlain a établi son camp de base sur le cap Diamant…
- Forme : Le couvercle du trou d’homme est rond
- Forme : On utilise souvent une pièce de monnaie (ronde) pour commémorer une célébration.
- (!) À noter ici un début de correspondance…
- Fabrication : Le trou d’homme est en métal.
- Fabrication : La pièce de monnaie est en métal.
- Symboliques véhiculées dans la commémoration du 400e de l’identité québécoise : métissage (autochtone, français, assimilation par la couronne britannique), la chasse, la pêche, la faune, folklore.
- Symboliques véhiculées par le support imposé (couvercle de canalisation) : bien public, gouvernement, élément connoté à la protection d’un danger…
Phase 3 :
Il est possible de réaliser un tableau de correspondance en y classant les caractéristiques de chacun des deux sujets comme suit
Exemple :
Célébrations 400e de la ville de Québec | ||||
Commémoration | Traditions | Culture | ||
Un trou d’homme | Objet public | Pièce de monnaie | Colonisation/assimilation | |
Rond | ||||
Métallique |
À la fin de l’exercice, il faudra classer les idées par ordre de pertinence.
- Différenciation : Association, bissociation et métaphore
Un peu d’histoire…
Depuis l’origine du monde, dans les mythologies diverses, il est courant de voir des créatures qui naîtront d’associations d’éléments disparates afin de leur donner un certain pouvoir surnaturel. Par exemple, l’ajout d’une tête d’aigle, d’une paire d’ailes à un corps de lion lui permet de devenir un griffon. Tandis que mettre des ailes à un cheval lui permet de devenir pégase. L’ange est aussi une forme de créature humaine ailée dérivée des mythologies grecques Niké qui représente la déesse de la victoire. La juxtaposition des éléments disparates fait aussi naître des aptitudes extraordinaires chez ces créatures.
Au Moyen Âge, dans la religion chrétienne, l’image permet de transmettre le message des récits de la bible aux populations majoritairement analphabètes. Cependant, beaucoup de concepts racontés à partir d’un certain imaginaire, demeuraient très difficiles à illustrer sans avoir recourt à des associations d’éléments non usuels afin de créer un sens. C’est un peu comme la métaphore, sauf que l’imagerie qui en résultait était parfois assez surréaliste. Par exemple on retrouve dans plusieurs œuvres de la renaissance, des images complètement disjonctées afin d’exprimer les concepts du purgatoire, de l’enfer et ses créatures ou encore la présence divine qui est incarnée dans un humain. Beaucoup de gens s’imagineront même que les artistes consommaient des substances hallucinogènes pour produire ces œuvres fantastiques.
Les artistes Giotto, Fra Angelico et Jérôme Bosh, sont peut-être les meilleurs exemples de la mise en pratique de la technique de la bissociation bien avant l’arrivée des surréalistes. Fra Angelico était un peintre italien très connu surtout pour ses fresques qui ornent les murs des cellules du couvent St-Marco à Florence. Il utilisera des têtes et des mains qui semblent flotter autour du sujet principal montrant différents éléments du concept sous-entendu dans l’image fixe. On dirait presque un code pour sourds et muets illustré à l’aide de position de mains dans l’espace. Jérôme Bosh quant à lui, juxtapose des corps d’animaux à des corps humains, il fait sortir des démons de la bouche des personnages pour rendre encore plus effrayant les visions de l’enfer qu’il dépeint.
Explore les images illustrant le concept de bissociation afin de te familiariser avec l’histoire de l’art
Sources consultées
BBC, Fra Angelico’s restored frescos on show in UK, 2019. [https://www.bbc.com/news/in-pictures-49553613].
« Fresques de la vie de saint François à Assise (Giotto) », [En ligne], Wikipédia, [http ://fr.wikipedia.org/w/index.php?title=Fresques_de_la_vie_de_saint_Fran%C3%A7ois_%C3%A0_Assise_(Giotto)&oldid=186893918] (consultée le 5 octobre 2021 à 10 h 15).
Picasso : la juxtaposition d’objets pour générer des créatures
Picasso et son compère George Braque sont d’abord identifiés comme les peintres fondateurs du cubisme. Cependant, Picasso n’est pas seulement peintre, il a aussi réalisé quelques sculptures en tant qu’expérimentations, mettant en formes tridimensionnelles ses recherches picturales sur le cubisme. C’est ainsi qu’il a réalisé une série de guitares par l’assemblage de plans en carton, en tôle et en d’autres matériaux récupérés. Par la suite, d’autres sculptures sont nées de l’association de divers objets trouvés n’ayant aucun lien de parenté entre eux. Ce sont en effet de très bons exemples afin d’illustrer le principe de la bissociation.
L’artiste était un grand amateur de corrida et, un jour, il a vu dans un tas d’objets une selle et un guidon de vélo. Il a instinctivement réuni ces deux sujets afin de créer une tête de taureau. Par la suite, en collaboration avec le sculpteur catalan González, il réalisa différents animaux en utilisant une multitude d’objets récupérés (pelles, râteaux, jouets, ustensiles) : une guenon dont la tête est formée d’une voiture, une chèvre dont le corps est un panier d’osier, etc. Ces assemblages humoristiques ont été par la suite coulés en bronze et sont devenus des œuvres assumées.
Explore les œuvres suivantes de l’artiste Pablo Picasso
Par la technique de la bissociation, les artistes surréalistes vont aussi créer quelques images oniriques. Explore leur travail par une recherche de leurs œuvres. L’art actuel représente un terrain de jeu pour l’application du concept de la bissociation, d’abord parce que l’art aujourd’hui pulvérise les frontières entre les disciplines par une hybridité qui se définit par le mélange de styles, époques de modes d’expression, de matériaux et de médiums les plus diversifiés. Aussi, parce que les artistes cherchent de plus en plus à sortir des sentiers battus des conventions et traditions artistiques.
Exercice de réflexion
Selon toi, comment la bissociation est-elle représentée dans ces œuvres afin de suggérer un nouveau sens inédit? À chaque œuvre, nomme d’abord les constituants séparément, puis traduis en quelques mots le sens symbolique généré par les associations inusitées présentées.