Technique de la créativité: Pervertir l’objet

Pervertir l’objet en création artistique consiste à dénaturer la fonction initiale d’un élément. Il s’agit de détourner l’objet de l’utilisation pour laquelle il est prévu. Cette corruption du sens de lecture de l’œuvre donne à la compréhension un dénouement inattendu parfois humoristique, sarcastique ou critique. La perversion peut se faire par les diverses avenues du concassage tel que le recadrage, modifier, combiner, supprimer, agrandir, diminuer. Ces manipulations permettront de provoquer une association inusitée qui pourra faire vivre une émotion inhabituelle au public par rapport à l’élément initial. Par conséquent, l’objet pervertit, deviendra inutilisable, par rapport à la fonction pour laquelle il était originellement destiné. Pourtant, la transformation créative qu’il aura subie lui permettra de transmettre un nouveau message, une émotion nouvelle.

Par exemple, la fonction d’un marteau est normalement de servir à enfoncer des clous. À la limite, il peut servir de masse pour briser quelque chose et peut aussi être utilisé pour arracher des clous. Par contre, qu’adviendra-t-il si l’on moule l’objet dans un matériau mou comme du silicone? L’objet qui a toujours été associé à un matériau rigide pour accomplir des tâches spécifiques devient inutilisable, surprenant et même déroutant. La fonction de l’objet se trouve donc pervertie de manière humoristique. On obtiendra ainsi un objet détourné de sa fonction initiale qui provoquera un sentiment d’inconfort et de confusion chez le public. Plusieurs artistes de l’histoire de l’art ont utilisé cette technique créative afin de déstabiliser le public.

Définition de « pervertir »

Le verbe « pervertir » se définit comme l’action de détourner quelque chose de sa vraie nature. On peut l’appliquer à une idée, un jugement, un principe, une idée ou le sens d’un mot. Il s’agit d’intervenir sur le concept original en corrompant, en dénaturant ou en faussant les composantes de celui-ci afin de dérouter la perception première ou attendue.

Références consultées

(X) CENTRE NATIONAL DE RESSOURCES TEXTUELLES ET LEXICALES CNRTL. « Pervertir », [En ligne], 2012, [https://www.cnrtl.fr/definition/pervertir].

Un peu d’histoire…

Pendant la période historique de 1930, plusieurs artistes provenant du courant du surréalisme expérimentaient en assemblant des objets trouvés de manière étrange, défiant la logique et suscitant des associations inconscientes et poétiques Un de ces objets emblématiques était le « Déjeuner en fourrure », qui se composait d’une tasse, d’une soucoupe et d’une petite cuillère achetées dans un grand magasin parisien et recouvertes de peau de gazelle chinoise. Cette œuvre mettait en évidence les plaisirs sensoriels spécifiques : la fourrure pouvait ravir le toucher, mais repoussait la langue. Évidemment, une tasse et une cuillère sont, bien entendu, conçues pour être portées à la bouche!

La tasse à thé doublée de fourrure d’Oppenheim demeure certainement l’exemple le plus efficace pour illustrer le concept de « la perversion » d’un objet. Son aspect subtilement pervers a été inspiré par une conversation entre Oppenheim, Pablo Picasso et la photographe Dora Maar dans un café parisien. En admirant les bracelets de fourrure d’Oppenheim, Picasso a fait remarquer que pratiquement n’importe quoi pouvait être recouvert de fourrure. « Même cette tasse et cette soucoupe », a répondu Oppenheim.

Références consultées

(X) MOMA HIGHLIGHTS, 375 Works from The Museum of Modern Art, New York, 2019. [https://www.moma.org/collection/works/80997].

Explore les œuvres suivantes

Marcel Duchamp et ses « Ready Made »

Marcel Duchamp est considéré comme un des artistes de l’avant-garde du XXe siècle ayant brisé le plus de règles par rapport à la définition de l’œuvre d’art au sens traditionnel. En 1913, il décide de s’approprier des objets usuels, non esthétiques, non poétiques et de les signer comme un artiste signerait un tableau. Cette démarche particulière est en quelque sorte un acte de consécration, en ce sens que la signature a pour fonction de promouvoir ces objets tant qu’œuvre d’art. Ces objets seront nommés des « ready-made » la traduction du terme en français serait : « tout fait ». Selon Tristan Tzara chef de file du mouvement Dada, les « ready-made » se définissent comme « des objets de fabrication industrielle » élevés au rang d’œuvre d’art par la déclaration de l’artiste. Cette démarche de l’artiste sous-entend donc que l’on pourrait prendre n’importe quel objet et prétendre qu’il s’agit d’une œuvre d’art. Ici donc, c’est la définition de ce qui a été jusqu’alors considéré « une œuvre d’art » qui se trouve pervertie.

L’artiste prend soin de choisir ses objets dans le monde industriel plutôt que dans la nature, parce qu’il veut absolument éviter que l’on aborde d’abord ceux-ci pour leur qualité esthétique. L’objet n’est peu ou pas du tout transformé par la main de l’artiste, il n’est pas non plus fabriqué par lui, et c’est ici volontaire. Marcel Duchamp et perçu alors comme un terroriste de l’art et ses « ready-made » (objets déclarés œuvre d’art) firent l’effet d’une bombe dans les milieux de la culture. D’une certaine manière, ces objets ont défini de nouveaux paramètres de l’art du XXe siècle.

Anecdote :

En 1917, lors d’une exposition à New York, alors qu’il est membre du comité de direction de l’exposition, Marcel Duchamp teste l’ouverture d’esprit proclamée de la Society of Independant Artists en présentant son urinoir sous le pseudonyme de Richard Mutt. L’objet suscite des polémiques et est exclu de l’exposition, mais Alfred Stieglitz l’expose ensuite dans sa galerie 291 à New York et le photographie. Cet épisode fait écho au rejet d’une autre œuvre de Duchamp, « Nu descendant un escalier », lors du Salon des Indépendants de 1912, où il avait dû décrocher sa toile jugée hérétique par ses collègues artistes par rapport à la vision et aux principes acceptés du cubisme par ses pairs. Duchamp, en 1917 a lui-même orchestré le scandale autour de son œuvre « Fontaine », en plaçant une reproduction de la photographie de Stieglitz dans le numéro 2 de la revue « The Blind Man », dont il commentera lui-même l’éditorial. Ainsi, l’histoire fait de Fontaine un emblème de l’iconoclasme moderne grâce à l’ironie duchampienne.

Que fait Marcel Duchamp par cet acte révolutionnaire? Il remet en question le concept de l’esthétisme que l’objet d’art doit être beau, mais aussi le processus du « faire dans l’art », que l’artiste est obligatoirement celui qui fabrique lui-même l’œuvre. Ce qui nous conduit à la revendication de l’œuvre en tant que concept plutôt que d’objet matériel. Il rompt avec le principe qu’une œuvre d’art doit être esthétique, qu’elle doit transmettre une émotion et qu’elle doit être le résultat de la virtuosité ou du talent de l’artiste dans da réalisation.

« “Fontaine” existe bien en tant qu’œuvre d’art, non pas pour le plaisir visuel ou émotionnel qu’elle nous procure, non pas dans les capacités d’une main habile qui donne forme, mais pour la réflexion qu’elle engage sur l’art ».

– Alain Bourdie

Références consultées

(X) BOURDIE, Alain. Découvrir et comprendre l’art contemporain, Hurtubise, p.63, 2011.

(X) CENTRE POMPIDOU, Marcel Duchamp, Fontaine, 1917/1964, [https://www.centrepompidou.fr/en/ressources/oeuvre/VgrNkuT].

Explore les œuvres suivantes de l’artiste 

La perversion du concept de l’œuvre d’art par l’utilisation d’objets de la vie quotidienne est devenue chose courante dans l’art actuel. Plusieurs artistes utilisent cette stratégie afin de critiquer le système de marchandisation de l’art.

Banksy et les objets de critique sociale

L’artiste britannique, dont l’identité est encore secrète, offre une perspective originale, humoristique et percutante sur notre monde contemporain constamment bombardé de publicités qui envahissent l’espace public. Ses interventions artistiques « street art » habituellement composées à l’aide de peinture en aérosol et de pochoir. À quelques reprises toutefois, il a troqué ses habitudes à afin de jouer avec le concept de la perversion d’objets divers pour exprimer une forme de critique sociale par l’intervention artistique. C’est le cas pour son Projet de « Gross Domestic Product*, the homewear brand from Bansky » en décembre 2019. En guise de réponse de la part de l’artiste envers des marques de commerce connues profitant frauduleusement de son nom et de sa renommée pour s’enrichir à ses dépens, il crée un magasin inaccessible dont on peut seulement admirer la vitrine de la rue et commander les divers articles et objets en ligne.

De la vitrine, avec pignon sur rue, on peut apercevoir quelques objets pervertis tels qu’un écureuil trophée dont la tête est emprisonnée dans des anneaux de plastique qui servent ordinairement à tenir des cannettes de bière. La peau du tigre des céréales Kellogg présentée comme une peau d’ours en guise de tapis. Une brique/un sac à main, etc. Le principe de la perversion de l’objet est concrétisé ici par la juxtaposition d’objets connus dont la fonction initiale a été détournée afin de révéler une critique humoristique des valeurs de la société de consommation.

Explore l’œuvre « Gross Domestic Product, the homewear brand from Bansky »

Exercice de réflexion

Selon toi, comment la perversion est-elle représentée dans ces œuvres afin de suggérer un nouveau sens inédit? À chaque œuvre, nomme d’abord les constituants séparément, puis traduis en quelques mots le sens symbolique généré par les associations inusitées présentées.

Objectifs standards visés

054A

Appliquer des techniques de peinture dans une perspective de création.

054B

Exploiter des modes de création actuels en peinture dans une perspective de démarche artistique.

054C

Appliquer des techniques de sculpture dans une perspective de création.

054D

Exploiter des modes de création actuels en sculpture dans une perspective de démarche artistique.

054E

Créer des images photographiques dans une perspective artistique.

054F

Appliquer des techniques de traitement de l’image numérique comme mode de création artistique.

054J

Exploiter des approches en vidéographie artistique.

0549

Exploiter le dessin comme mode de création.

Autres concassage